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Par Philippe Monod, Futura-Environnement
En sortant de sa grotte-prison où il venait de purger 30 années d’internement pour « excès de lucidité », Isaac découvre un paysage d’apocalypse sous une lumière étrangement sombre… Que s’est-il passé depuis 2010, date de son procès ? Voici le récit d'un cauchemar, qui, bien sûr, n'engage que son auteur. Attention, éloignez les âmes sensibles, les jeunes enfants et soyez prêts à quelques minutes d'angoisse...
Dans les années 2000, Isaac, jeune universitaire renommé, déjà distingué, enseignait à ses étudiants plusieurs disciplines scientifiques. Original, il préparait ses cours en se basant sur des faits réels indépendamment des idées reçues. Il ne se souciait jamais de son image, et encore moins auprès de sa hiérarchie.
Ce réchauffement climatique dont parlait le monde en 2010, date de son emprisonnement, engendrait déjà des effets néfastes. Il avait tenté de l’expliquer lors de sa dernière conférence d’homme libre donnée à l’occasion d’un sommet mondial, à Copenhague s’il se souvient bien. Soutenu par des collègues et ses étudiants, il avait expliqué devant un parterre de décideurs économiques et politiques exceptionnellement réunis que le monde devait changer, les modes de vie devaient êtres revus, faute de quoi les sept milliards d’humains que la Terre hébergeait en 2010 couraient à leur perte. Il avait cité de multiples exemples, comme le goût du caviar qui avaient fait diminuer de près de 99% la population des esturgeons ou la régression des forêts, 4.040 milliers d'hectares perdus en Afrique entre 2000 et 2005, et 4.536 milliers en Amérique latine. Il avait parlé biodiversité, déjà réduite de 10% en 2010, avec la disparition d'un oiseau sur huit, un mammifère sur quatre et un amphibien sur trois. Il avait parlé des surmortalités touchant les abeilles domestiques et de la raréfaction des insectes pollinisateurs, rappelant qu'environ 30% de l'agriculture mondiale en était tributaire.
Il avait cité encore bien d'autres exemples, comme la forêt de l’île de Sumatra victime de la monoculture intensive de palmiers à huile, utilisée dans l’alimentation, les cosmétiques et les biocarburants. Entre 1998 et 2007, l’Indonésie avait officiellement étendu de 3 millions à 7 millions d’hectares ses plantations.
Son exemple avait frappé les esprits et encore plus celui du représentant indonésien. Le délégué s’était alors levé et l’avait interpellé, interrompant sa conférence. D’autres voix s’étaient également fait entendre. Ce n’était pas celles des politiques mais celles des industriels mondiaux du secteur des cosmétiques et du lobby des combustibles fossiles. Ses adversaires étaient là. Une minorité d’industriels de pays riches voulaient le rester au détriment de tout le reste et des pays en voie de développement voulaient imiter le train de vie des nations riches.
Sans doute qu’à Copenhague, comme souvent face à l’urgence, les chefs d’Etat s’étaient accordés à soigner les symptômes mais non les causes réelles. Sans doute lui et ses amis dérangeaient-ils avec leurs propos lucides. Des économistes confirmaient pourtant les prévisions d’Isaac. L’un d’entre eux, Sir Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, avait estimé que face au réchauffement climatique, « l'inaction pourrait coûter 5% de PNB mondial par an, voire 20% dans le scénario le plus pessimiste, tandis qu'une politique de réduction des rejets de gaz à effet de serre coûterait 1% du PNB par an ».
Isaac et ses amis n’avaient pas convaincu. Ils subirent un
procès bâclé et la prison, malgré une vague de prote
Apocalypse now
Aujourd'hui, il sort. Pour con
Isaac a compris. Il a devant lui la concrétisation des techniques de géo-ingénierie souvent évoquées en 2010 comme ultime recours pour diminuer les émissions à effet de serre. Il se souvient : l’idée était de placer en orbite géostationnaire seize mille milliards de vaisseaux spatiaux ultralégers à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre sur l'axe Terre-Soleil. Ensemble, ces engins formeraient un écran de soixante mille kilomètres de diamètre chargé de réfléchir 10% de la lumière émise par le Soleil et ainsi de refroidir la planète. « Depuis mon internement, le réchauffement a dû atteindre 4° à 5° C. » Ces dirigeables doivent sans doute larguer dans la stratosphère des vaisseaux capables de gagner l'espace.
Isaac aperçoit aussi des ballons-sondes géants qui projettent de fines particules dans l’air. « C’est l’effet parasol » se souvient-il. L’idée déjà ancienne semblait inapplicable. Pourtant elle est matérialisée au-dessus de sa tête. Le concept s'inspire des irruptions volcaniques qui injectent naturellement des particules dans la stratosphère et freinent, un temps, l'effet du rayonnement solaire. Un refroidissement passager dû à ces milliards de particules de dioxyde de soufre également présentes dans le carburant des avions à réaction afin d’augmenter leur diffusion.
A l'ombre de la géo-ingénierie
Isaac marche. Il s’approche d’une forme humaine assise sur un
rocher. L’homme paraît très âgé, et même épuisé. Enroulé dans une couverture de
survie équipée de capteurs lumineux, il lève la tête et fixe Isaac de ses deux
micro-objectifs in
Les deux hommes commencent à bavarder et Isaac veut savoir ce que la Terre a vécu depuis qu'il n'a plus vu la lumière du Soleil. D’une voix synthétique, émise par son universal-voicephone-translator, l’homme lui répond.
« Ne m’en voulez pas si
je me présente à vous dans cet état. Je suis très malade à cause de mon dernier
métier. J'injectais du fer dans les océans. On nous disait que ça
stimule la croissance du phytoplancton, qui avale d'immenses quantités
d'oxyde de carbone. C'est très malsain... Que vous dire
? Commençons par le pétrole. Devenu rare, il est très cher. Seuls quelques
privilégiés, des Etats, peuvent l’utiliser. Notre problème majeur, en plus des
bouleversements multiples dus au réchauffement de
Un mur autour des Etats-Unis
L’homme marque une pause. Il respire difficilement à l’aide d’un aérosol miniature dont le tube est relié directement à une micro-ouverture dans sa gorge. Il reprend.
« Notre alimentation est devenue réellement problématique. Tenez, par exemple, il n’y a plus d’abeilles. L’élévation de la température a été fatale à des cultures que nous maîtrisions depuis des milliers d’années, comme les céréales. Si la germination du riz peut se faire jusqu’à 45°, les céréales deviennent stériles au-dessus de 36°, une température largement répandue dans l’hémisphère sud désormais. Nous avons vu mourir plus de 3 milliards d’entre nous, lors de terribles famines et de conflits planétaires qui ont opposé en 2020-2030 des RC (réfugiés climatiques) fuyant leurs terres arides ou inondées à des PL (Populations locales) repliées mais hyper-armées.
Le feu nucléaire a été utilisé, notamment lors de la guerre civile en Chine entre partisans d’une guerre avec la Russie pour s’emparer de la Sibérie devenue terre fertile et opposants à cette guerre sino-russe. Aujourd’hui, en 2040, c’est moins la population que les gaz que nous redoutons. Nous devons faire face au dégagement de milliers de tonnes de méthane et de dioxyde de carbone dû à la fonte du pergélisol dans le Canada arctique, en Alaska et en Sibérie. Le total des émissions « néo-naturelles » et de gaz à effet de serre continue à augmenter. Ce qui est certain, c’est que les scénarios politico-climato-stratégiques n’étaient pas exacts malgré l’usage d’outils sophistiqués.
Malgré digues et barrages, des mégapoles situées en zones inondables, comme New York, Rotterdam, Bombay ou Shanghai, n’existent plus. Les Etats-Unis se sont repliés sur eux-mêmes en fortifiant leurs frontières par un double mur, ave caméras infrarouge, détecteurs automatiques, mines anti-personnel et mitrailleuses automatiques. Cette incroyable forteresse a coûté 1.800 milliards de dollars américains (soit près de 265 milliards de dollars en monnaie de 2016, avant la grande inflation. »
L’homme s’interrompt, épuisé autant par la gravité de son discours que par l'effort de parler, puis formule une ultime requête. « Ramenez-moi auprès des miens, en bas, là où autrefois nous placions nos morts » lui murmure l’homme avant de laisser partir sa vie dans un dernier souffle aigu.
Isaac s’assoit auprès de lui en le regardant. Ainsi, sa première rencontre d’homme libre vient de mourir. A qui le tour ? La civilisation qu’il avait connue et espérée meilleure s’est elle aussi visiblement laissée mourir. « L’histoire se répète » se dit Isaac. Tout comme Galilée ou Giordano Bruno – disciple de Copernic – qui avait imaginé la pluralité des mondes habités, « ils » avaient voulu tuer Isaac, lui et surtout ses idées. « Ils », qui étaient-ils ? Ce n’était plus l’église devenue inaudible. « Ils » représentaient les nouveaux dogmatiques de la productivité. Isaac se remémorait ses vieux livres d’histoire : quelque cinq siècles plus tard, après avoir emprisonné Galilée, Rome s’était timidement excusé « de l'avoir intimidé » mais n'a jamais regretté d'avoir brûlé vif Giordano Bruno.
Isaac regarde le paysage sous cette étrange lumière : le ciel semble sombre comme si un voile de cendres séparait la Terre du reste de l’univers. Il repense à cette phrase : « d’abord les arbres disparaissent, puis les sols, puis finalement la civilisation elle-même ». Autour de lui, Isaac ne voit aucun arbre et n’aperçoit que les uniformes des policiers. A l’évidence le réchauffement climatique a eu des conséquences sociétales. Les hommes ont oublié la liberté, terrés comme des renards malades au plus profond de leurs galeries électroniques placées sous vidéo-surveillance, tous contraints d’accepter les puces RFID. Après Copenhague, le caviar, les crèmes de beauté et des choix égoïstes avaient donc dû s’imposer...
En regardant autour de lui, Isaac distingue l’entrée d’une galerie. Il charge sur ses épaules le cadavre de l’homme qu’il venait de rencontrer et se dirige vers le souterrain sous la surveillance de dizaines de micro-caméras. Au loin des singes rescapés jouent sur des ruines.