Cours d'écologie
Chapitre 2 :
L'approche globale, le premier pas vers l'écologie
L'écologie possède un atout majeur par rapport à
tous les autres systèmes de pensée (et d'action) : le marxisme se limite à
l'étude sociétale (ainsi qu'aux actions correctrices), et le néolibéralisme à
l'augmentation des bénéfices quasi exclusivement. Entre les deux, c'est la
navigation à vue : pragmatisme dans le meilleur des cas, chacun pour soi dans
le pire.
L'écologie, donc, considère la planète dans son
entier, ce programme est tellement ambitieux que beaucoup s'arrêtent en chemin.
Malgré tout depuis plus de 50 ans, des chercheurs observent, travaillent,
synthétisent, inventent et se dotent d'outils conceptuels innovants (ex: le
GIEC et ses études climatiques).
La crise actuelle est révélatrice du manque d'analyse (et
du manque de système d'analyse) des décideurs. Pour une raison simple : ils
n'ont pas de point de vue global.
Une nouvelle
culture: l'approche systémique
Globalement tous les systèmes naturels fonctionnent par
l'apport d'énergie, les principes de la thermodynamique en sont donc très proches.
Ainsi, l'approche systémique utilise les termes "flux",
"cycles", "réservoirs" et aussi communication, catalyseur,
stabilité, évolution, etc. Et système, évidemment.
Enfin, l'approche systémique est trans- et pluri-
disciplinaire : biologie, informatique, mécanique, statistique, mathématique,
thermodynamique, théorie de l'information, analyse système, analyse sociétale,
etc. Etonnamment, les branches orientées écologie et industrie se sont petit à
petit séparées dans les années 40-50 et ont développés leurs propres outils
tout en s'ignorant l'une l'autre, il s'agit maintenant de refaire la synthèse.
Qu'est ce qu'un système ?
"Un système est un ensemble d'éléments en interaction
dynamique et organisés en fonction d'un but". Dans la nature, la notion de
but n'est pas prédéterminée (au sens janséniste), mais le fait est là,
notre civilisation est l'aboutissement de l'évolution depuis le Big Bang (si
Big Bang il y a eu).
Notion de système "ouvert" et système
"fermé" :
Un système ouvert est un système en interaction avec
d'autres. Un système fermé se suffit à lui-même (autarcie complète -ça n'existe
pas, ni dans la nature ni ailleurs-, hypothèse de travail pour simplifier).
[Avec les
développements qui vont suivre, j'en profite pour apporter une précision : le
mot "ouvert", en régulation (branche de l'automatisme industriel),
signifie que l'information de sortie n'est pas utilisée en
"rebouclage", et "fermé" veut dire que l'info est utilisée
pour réguler. Nous laisserons ceci de côté.]
Système simple, système complexe :
La plupart du temps, les systèmes sont complexes : une
"simple" cellule humaine mobilise des générations de chercheurs (elle
est déjà complexe). Nous avons du mal à imaginer le nombre d'éléments en
interaction ainsi que la variété des interactions. Et que dire du corps entier
!
Exemple 1 :
Une randonnée pédestre. Vous connaissez le parcours, plutôt
plat et sans difficulté, durée prévue 4h. Avec quelques simplifications (vous
excluez les évènements les plus improbables), vous maitrisez les éléments
(vêtements, chaussures, casse croute, météo, etc.) et les interactions (arrêt
pause café, belvédère, curiosité à voir,…). Le système c'est vous (en
randonnée) et c'est simple.
Exemple 2 :
Vous êtes urbaniste et vous devez prévoir la circulation (piétons,
2 roues, voitures, bus, livraisons) dans un quartier. Le système est constitué
de milliers de personnes (enfants, adultes, 3ème âge, handicapés) et
de véhicules en interactions complexes.
Nous nous rappellerons ces 2 exemples pour la suite de l'exposé.
Ci-dessus, le schéma représente un système (toujours en
inter action avec l'environnement (tiens tiens), la flèche en retour indique
une boucle de rétroaction (ex 1: un petit coup de fatigue, on arrête 5 mn, ex
2: le marché est terminé, on laisse passer les voitures)
Définir la complexité:
Un système devient complexe quand ses éléments augmentent en
quantité et variété, ainsi que les interactions internes et externes (en
quantité et variété aussi). Il faut ajouter une notion que la langue française
a du mal à définir : la qualité.( En effet, la langue française utilise les même
mots pour parler de quantité et de qualité, ce qui prête à confusion).
Pour plus de précision, se reporter aux pages 103 et 104 de
"Le Macroscope".
Les composants d'un système :
v Les flux : énergie, matière, information.
v Les réservoirs : ils servent à emmagasiner et amortir les flux.
v Les vannes : elles contrôlent les flux.
v les délais (rien ne se fait instantanément)
v les boucles de rétroaction (ou de régulation)
Ces composants ont tous un comportement dynamique (par opposition à statique). D'un mot
grec qui signifie force, car tout se passe par la mise en œuvre de forces
(chimiques, électrostatiques, mécaniques, biologiques, …)
L'étude d'un système est donc pluridisciplinaire
(engineering, gestion, biologie, physique, automatisme, …)
La rétroaction (ou régulation) :
Cela consiste à vérifier (mesurer) ce qui se passe "en
sortie" pour moduler l'ouverture des vannes "en entrée".
La rétroaction "boucle" le système. Les
automaticiens parlent de boucles de régulation, ils ont même inventé des
appareils (régulateurs PID –proportionnel, intégral, dérivé-) remplissant ces
fonctions et très utilisés en industrie (N'oublions
pas que jusqu'au années
- La rétroaction positive
: si tout va bien en "sortie" alors on continue d'ouvrir les vannes
en "entrée". La soif amène la soif, dirait l'ivrogne, et la machine
s'emballe (ex. les bulles financières, l'explosion démographique).
- La rétroaction négative
: si on est en dessous du niveau recherché "en sortie", on augmente
l'ouverture des vannes "en entrée". Si on est au dessus, on diminue
l'ouverture. (on obtient
par exemple une sinusoïde amortie de type : y = e(- at) * (sin x) + consigne ). Le
résultat est une stabilisation du système.
(On étudie le dénominateur de l'équation transcrite
en transformée de Fourrier pour connaître si la rétroaction est positive ou
négative).
Tout ceci est valable que l'on parle d'une bactérie ou d'une
entreprise ou d'un état, la taille n'est pas le problème, le problème est la
complexité (et l'état de nos connaissances).
Approche
analytique |
Approche systémique |
Isole : se concentre sur les éléments |
Relie : se concentre sur les interactions entre les éléments |
Considère la
nature des interactions |
Considère les
effets des interactions. |
S'appuie sur la
précision des détails |
S'appuie sur la perception globale |
Modifie une variable à
la fois. |
Modifie
des groupes de variables simultanément. |
Indépendante de la durée : les phénomènes sont réversibles |
Intègre la durée et l'irréversibilité |
La
validation des faits se réalise par la preuve expérimentale dans le cadre d'une
théorie. |
La
validation des faits se réalise par comparaison du fonctionnement du modèle avec la
réalité |
Modèles précis et détaillés, mais (difficilement
utilisables dans l'action (ex:
modèles économétriques) |
Modèles insuffisamment rigoureux pour servir de base aux connaissances, mais
utilisables dans la décision et l'action (exemple : modèles du Club de Rome). |
Approche efficace lorsque les interactions sont linéaires et faibles. |
Approche efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes. |
Conduit
à un enseignement par discipline (juxta-disciplinaire). |
Conduit
à un enseignement pluridisciplinaire. |
Conduit à une action programmée dans son détail. |
Conduit
à une action par objectifs. |
Connaissance des détails, buts mal définis. |
Connaissance des buts,
détails flous. |
Enfin un dernier tableau
récapitulatif :
Vision statique (systèmes simples) |
Vision dynamique (systèmes
complexes) |
Solide |
Fluide |
Force |
Flux |
Système fermé |
Système ouvert |
Causalité linéaire — stabilité — rigidité — solidité |
Causalité circulaire — stabilité
dynamique — état
stationnaire — renouvellement continu (turnover) |
Équilibre de forces, ex : cristal |
Équilibre de flux ex : cellule |
Comportement des systèmes : — prévisible — reproductible — réversible |
Comportement des systèmes : — imprévisible — non reproductible — irréversible |
|
|
(tableaux extraits du Macroscope de Joël de Rosnay)
Les différentes constatations les
plus courantes grâce à la combinaison des 2 méthodes:
v
L'homéostasie, ou résistance au
changement. Caractéristique qui favorise la stabilité, le système mettra tout
en œuvre pour rester stable, y compris les plus déroutants.
v
La dynamique du changement : en
dernière limite, le système cherchera un nouvel équilibre en s'adaptant.
(Ces 2 principes
découlent du principe de "moindre action" étudié par les frères
Bernouilli et Euler au 18ème siècle : pour arriver à un résultat
donné, le système privilégie la solution qui est la plus économe en énergie).
v
La croissance et la variété : 1)
un système croit pour occuper tout l'espace disponible. 2) l'environnement
global n'est jamais strictement homogène, donc la variété est nécessaire pour
les ajustements de fonctionnement. 3) Plus un système est complexe, plus son
contrôle est complexe (variété requise). Ex : le système d'exploitation d'un
ordinateur (quelques Kilo octets en 1980, 500 Méga octets aujourd'hui, mais
l'ordinateur gère des tâches interactives très complexes)
v
Evolution et émergence : pour
occuper tout l'espace disponible (empêcher les autres systèmes de l'occuper),
le système évolue et se complexifie
Les 10 commandements
de l'approche systémique :
1)
Conserver la variété, source de
stabilité (survie du système : capacité d'adaptation)
2)
Ne pas "ouvrir" les
boucles de régulation. Ex: la lutte contre les insectes supprime aussi les
oiseaux prédateurs (plus de proies), adaptation des insectes à l'insecticide et
retour en force (sans les oiseaux).
3)
Rechercher les points
d'amplification, ce sont ceux qui sont les plus sensibles pour provoquer les dérèglements
(type prolifération ou disparition). Ex : la quantité de déchets (et de
matières premières, d'énergie et de recyclage) explose à cause du "tout
jetable". La solution est moins le recyclage que la conception durable.
4)
Rétablir les équilibres par la
décentralisation. Le "tout contrôler" de façon centralisée amène la
fabrication de mammouths obèses que l'on ne sait dégraisser (suivez mon
regard). Un système de contrôle plus proche du système est plus rapide et plus
réactif.
5)
Savoir maintenir les contraintes.
Elles sont nécessaires et ne répondent pas (dans la société) à la notion de
justice ou d'égalité. Dans une cathédrale, une pierre des fondations n'est
jamais vue (on n'y pense même pas) mais est indispensable pour soutenir la
rosace que l'on admire.
6)
Différencier pour mieux intégrer :
c'est exactement ce qui se passe dans le corps humain. Les 1ères cellules (de
la morula) sont "totipotentes", puis, au fur et à mesure des
divisions, elles ne sont plus que "pluripotentes" puis se spécialisent
(muscle, rein, neurone, …).
7)
Pour évoluer, subir les agressions
pour apprendre à les surmonter (voir les insectes et insecticides)
8)
Préférer les objectifs (et
contrôles) rigoureux à la programmation détaillée. Cette dernière est
paralysante si elle intervient pendant les phases de conception. Ex : une loi
doit rester générale et énoncer des principes, les grandes lignes d'application
et le but à atteindre. Les détails sont d'un niveau inférieur.
9)
Savoir utiliser l'énergie de
commande : dans tout système coexistent énergie de puissance (motrice,
travail) énergie de commande (volonté,
bouton marche/arrêt) et information (mesure, …). On commande en fonction des
informations reçues. Conduire une voiture et faire du vélo: l'exemple est
parlant : dans le premier cas, l'énergie motrice (essence + moteur) est bien
distinct de "tenir le volant" (énergie de commande) et
"voir-être vu" (info). Dans le cas du vélo, le distinguo est moins
évident puisque le cycliste cumule et mélange les trois : info, puissance et
commande.
10)
Respecter les temps de réponse. En
gestion de projet, on utilise la méthode Grey: dès l'étude, on prévoit ces
temps pour que tout se déroule dans le bon ordre ("timing" en
anglais).
Les limites de
l'approche systémique :
v
On peut lui reprocher
d'être "trop" globale et majoritairement qualitative, il faut donc
sentir l'instant où il faut passer à une méthode quantitative précise, la
confrontation de l'ensemble permettant la décision.
v
Elle est confrontée
aux habitudes culturelles, seule la méthode analytique est prônée dans les
sphères de l'enseignement classique (hormis une pratique sans à priori du
brainstorming). Sans oublier que la méthode analytique a ses propres limites,
elle est construite sur l'expérience passée (pour créer une méthodologie) et
"en principe" reconnait son défaut de ne jamais être complète, ce qui
modère ses capacités d'anticipation. En industrie, on associe méthode
analytique à "amélioration continue", par opposition à "saut
technologique".
Conclusions du
chapitre :
1)
Tout écologiste doit
commencer par sa révolution de pensée, la difficulté seconde tient à l'attitude
qui permet de ne pas passer pour un martien auprès des interlocuteurs (remarque
perso: je ne suis pas champion sur ce dernier point, c'est ce qui m'a décidé à
écrire ces résumés).
2)
D'un point de vue
technique, la notion de réservoir, (quoique peu développée dans ce résumé) est
primordiale dans les fonctions de stockage, d'amortissement et régulation.
Conséquence : dans le système économique actuel, c'est
une variable d'ajustement qu'on essaie d'éliminer (car c'est de la valeur
immobilisée) et remplacée par la variable "main d'œuvre" (intérim,
CDD, contrats précaires). Ce transfert est typique et a donné la
formule : "le libéralisme économique, c'est la privatisation des bénéfices
et la socialisation des pertes". Une économie durable consiste donc à
utiliser les bonnes variables au bon endroit. (Nota : il y aura toujours des
variables main d'œuvre, on ne payera jamais un vendangeur pendant un an pour 15
ou 20 jours de vendanges -mais un patron de restaurant de plage vit toute
l'année en surfacturant ses 4 ou 5 mois d'activité !-).
3) La "boucle de rétroaction" peut se comparer à de
la prévention, dans notre société, ce principe est peu appliqué (économie à
flux tendu : pas de stocks, exception: l'agriculture) et les lois actuelles ne
servent qu'à rectifier (pénaliser, interdire,…) "en aval" (après
coup) plutôt qu'agir "en amont".
4) Cette "boucle" n'existe pas (et ne peut exister puisque la nature n'anticipe pas) dans les différents écosystèmes, mais c'est leur complication et leur diversité qui compensent la plupart du temps (une multitude de solutions en réserve, ne survivant que dans des "niches écologiques").
5) 4) Si l'équilibre antérieur ne peut être rétabli, l'écosystème créera un nouvel équilibre, cela s'appelle un changement de paradigme *. Ce dernier point pose un problème majeur car on ne le connait pas à l'avance. ( ex: les études sur le réchauffement climatique ne produisent que des hypothèses -certes plausibles-, mais il ne peut en être autrement). Ce qu'aujourd'hui nous appelons la crise est en fait un changement de paradigme qui s'impose.
6)
7) * paradigme : modèle de fonctionnement
8)
Patience pour le
chapitre 3, plus facile que celui-ci.