OGM : les grandes compagnies empêchent la recherche scientifique

Elisabeth Leciak dans écho nature N°23

« Aucune recherche véritablement indépendante ne peut être légalement conduite sur beaucoup de questions critiques » révèle un scientifique
américain au New York Times, dans un article paru le 19 février. D'après le célèbre quotidien, un groupe de 26 chercheurs vient de déposer une plainte
auprès de l'Agence pour la Protection de l'Environnement (E.P.A.) aux Etats-Unis. Les scientifiques y dénoncent les pratiques des entreprises de
la biotechnologie qui empêchent toutes recherches indépendantes et approfondies sur leurs semences génétiquement modifiées.

Protégées par la propriété intellectuelle, les compagnies conservent en effet l'entier contrôle sur l'utilisation qui peut être faite de leur
semence. Ainsi, si les universités américaines peuvent librement acheter des pesticides ou des graines conventionnelles pour mener des recherches, il
leur est, par contre, totalement interdit de manipuler des semences génétiquement modifiées sans l'accord des entreprises. Les chercheurs
expliquent au New York Times que parfois les autorisations ne sont pas accordées et, quand elles le sont, les compagnies se réservent le droit de
passer en revue tous les résultats avant leur publication. Ken Ostlie, un entomologiste à l'université du Minnesota, déclare au journaliste Andrew
Pollack que « si une compagnie peut commander la recherche du domaine public, elle peut diminuer les effets négatifs potentiels démontrés par
n'importe quelle recherche ».

Des chercheurs qui ne peuvent plus faire leur travail Pour le groupe de chercheurs, signataires du document envoyé à l'E.P.A. et
qui, pour la plupart, ne préfèrent pas révéler leur nom, ce blocage des recherches leurs pose d'importants problèmes. N'étant pas eux-mêmes opposés
au développement des biotechnologies, ces scientifiques qui étudient les insectes parasites des céréales se plaignent de ne pas pouvoir faire leur
travail et aider les cultivateurs à utiliser au mieux les nouvelles semences. Le Dr. Shields de Cornell avoue que « nombreux sont ceux qui ont
peur d'être blacklisté. Si votre travail est la recherche sur les résistances aux insectes, vous avez besoin d'étudier les dernières variétés
or, si les compagnies ne vous fournissent pas les autorisations, tout simplement, vous ne pouvez pas faire votre boulot ». Les témoignages publiés
par le New York Times sont, à ce titre, éloquents. Par exemple, la compagnie Syngenta (n°3 mondial des semences) interdit toute recherche en général mais
également empêche tout acheteur de comparer les semences à des produits de firmes concurrentes. En 2007, le Dr Ostlie obtenait l'autorisation de trois
entreprises pour effectuer des comparaisons sur leurs variétés, mais, dès l'année suivante, Syngenta lui retirait la permission d'utiliser ses
semences de maïs, jugeant « qu'il n'était pas dans son intérêt de le laisser continuer ». Marquez A. Boetel, professeur agrégé d'entomologie à
l'université du Dakota du Nord, n'a, quant à lui, jamais pu obtenir l'autorisation de Monsanto pour examiner la réaction au traitement
insecticide de récoltes de betteraves à sucre génétiquement modifiées. Chris DiFonzo, entomologiste à l'université du Michigan, témoigne pour sa part
qu'elle n'a pas pu mener ses suivis d'insectes dans les champs plantés en OGM au risque de mettre le propriétaire en violation des accords passés avec
les compagnies.

« le potentiel de blanchir les données »
Les semenciers assument sans complexe le maintien de ces restrictions pour protéger leur propriété intellectuelle, se disant prêts à discuter avec les
universitaires. Par ailleurs, Monsanto et Syngenta se targuent de soutenir la recherche, ce qui, cela dit, n'est pas sans poser problème aux
scientifiques qui constatent que les financements pour la recherche agronomique viennent de plus en plus du secteur privé. Les scientifiques des
universités d'Etat, signataires de la plainte, déplorent le fait d'être de plus en plus dépendants des grandes compagnies. Une situation inacceptable
quand, d'après eux, les données fournies au gouvernement sont « limitées à l'excès» et les entreprises « ont le potentiel de blanchir les données et
l'information soumise à l'E.P.A.».

Elisabeth Leciak dans écho nature N°23