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Extraits du dialogue spontané
avec l’animateur Marc Voinchet
qui lui demande si son livre n’aurait pas pu s’intituler
 » Faisons un  rêve « .

Réponse :

             (…) » C’est un rêve qui se nourrit de ce qu’on peut observer dans la réalité.
             L’imagination est indispensable si on veut être en prise sur la réalité. Parce qu’on est dans un monde qui change extrêmement vite…

             Le réel change tout le temps, prenez la construction européenne : à peine a-t-on commencé à saisir ses formes qu’elle a déjà changé de forme… Donc on est dans un monde, si on veut être réaliste, c’est à dire en prise avec le réel, il faut être imaginatif. Cela paraît contradictoire parce qu’on a tendance à penser que l’imagination, c’est s’évader du réel.
             Or faire un rêve, si on se nourrit du réel, cela permet d’être en prise sur le réel, donc il ne faut pas opposer le rêve à la réalité, ou l’idéalisme au réalisme, cela va ensemble, main dans la main, et c’est un peu sous-jacent dans ce livre.

               J’ai emprunté le mot « imaginant » à Gaston Bachelard, dans « L’eau et les rêves », où il commence toute sa réflexion sur, justement, ce qu’il appelle « les forces imaginantes de l’esprit ».
              C’est quelque chose qui m’a fasciné parce qu’au fond, il se demande ce qui met l’esprit en mouvement. Alors, il dit qu’il y a deux axes aux forces imaginantes de l’esprit :

                              - il y a l’axe qui creuse, qui approfondit, qui recherche les racines, qui travaille sur la continuité. Transposé au droit, je dirais c’est l’histoire du droit, de chaque famille juridique, de chaque système de droit, les familles de common law, des familles du droit romano-germanique, sur le continent européen. 
                              - mais il y a aussi un autre axe, aussi important, c’est le surgissement, c’est la discontinuité, l’inattendu, l’inespéré. Et dans le domaine juridique, en effet, il y a de temps en temps des surprises.
                   La Déclaration Universelle des Droits de l’homme, d’une certaine manière, ce n’était pas prévu. On était parti sur l’idée d’une Déclaration internationale, elle est devenue universelle en cours de route. Elle a failli perdre son caractère universel au moment de la Conférence de Vienne quelques années plus tard. Et finalement elle est restée en l’état, et elle a produit toute une série de conséquences qui sont des processus transformateurs plus que des concepts fondateurs.
                  L’inespéré, par exemple, cela a été la création de la Cour Pénale Internationale (CPI) dont on rêvait depuis l’après-guerre, depuis Nuremberg et qu’on a créé finalement à Rome en 1998. On a dit : «  mais les Etats ne vont jamais ratifier… ».
                 Depuis lors, plus de cents Etats ont ratifié un texte qui permet même de poursuivre un chef d’Etat en exercice (ex : le président soudanais).
                  La CPI a commencé à lancer des poursuites, alors… quand on entre tout simplement dans la réalité, ce n’est pas toujours simple : la voie n’est pas toute droite, elle n’est pas linéaire. Cette Cour, elle existe certes, mais quand elle a lancé un mandat d’arrêt contre un chef d’Etat en exercice, elle s’est heurtée au réel : il n’y a pas de police mondiale pour exécuter le mandat d’arrêt, et les Etats africains ne sont pas très disposés à le faire non plus.
                  Il y a une confrontation permanente entre ce qui bouge et qui arrête, ce qui bloque, ce qui recule, et chaque fois on a besoin des forces imaginantes pour trouver des réponses, pour trouver des nouvelles catégories, des nouveaux concepts, des nouvelles métaphores, des nouveaux principes, pour répondre à l’inédit, à ce qui a changé et qui change très vite.
               La question des  » vitesses  » me paraît une question majeure à l’heure actuelle, pace que les processus normatifs évoluent à des vitesses différentes. Si tout allait très vite, il pourrait y avoir une synchronisation. Or tout ne va pas très vite en même temps.
               Prenez le droit du marché : pratiquement, la mondialisation commence après la chute du Mur de Berlin en 1989, puis la création de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994 et cela va très vite, car il y a un système juridictionnel – la plupart des Etats font partie de l’OMC et leurs contentieux sont jugés.
               Mais prenez maintenant les droits de l’homme, le processus commence plus tôt, en 1948, mais il n’y a pas encore de Cour Mondiale des Droits de l’homme : donc la mise en oeuvre est beaucoup plus lente. Les vitesses ne sont pas les mêmes.